Agir vite, avant qu’il ne soit trop tard. Pour Adama Sy Traoré, un ingénieur de 30 ans, il y a urgence à freiner la propagation de l’épidémie due au coronavirus au Burkina Faso. En moins de deux semaines, 33 personnes infectées ont été détectées dans le pays, le deuxième le plus touché en Afrique de l’Ouest après le Sénégal. Une patiente de 62 ans atteinte du Covid-19 est décédée dans la nuit du mardi 17 mars à Ouagadougou – le premier mort en Afrique subsaharienne.
« A ce rythme, les structures de santé risquent d’être débordées et les tests de dépistage épuisés », s’inquiète Adama Sy Traoré. Ce passionné de nouvelles technologies a décidé d’aider son pays à résister en imaginant une application mobile d’autodiagnostic et de prévention de la maladie, baptisée DiagnoseMe. Il espère grâce à cet outil lutter contre la saturation des structures de santé et aider à la prise en charge des cas suspects.
En français, dioula et fulfulde
Tout commence en février. Alors que la Chine est au pic de l’épidémie, Adama Sy Traoré entend parler du hackathon en ligne « Hack for Wuhan », un concours de solutions innovantes contre le coronavirus lancé depuis la Chine à l’attention des développeurs. « Je suivais l’évolution de l’épidémie dans les autres pays, j’étais très inquiet. Tôt ou tard ça allait arriver au Burkina, il fallait anticiper », raconte-t-il. Il décide donc de former une petite équipe, composé d’un médecin, de deux ingénieurs et d’un étudiant burkinabé à l’université de Wuhan.
Sur les 300 participants en lice, Adama Sy Traoré et ses amis sont, avec d’autres concurrents kényans, les seuls Africains. Leur idée : développer une appli mobile, simple d’utilisation et rapide, pour aider à diagnostiquer la maladie. « Cela permet aux personnes qui ont des doutes sur leurs symptômes de faire un premier test et d’éviter une éventuelle contamination dans les centres de santé », explique celui qui a fini dans le top 12 du hackathon. Le Burkinabé, qui travaille aujourd’hui avec le ministère du développement numérique et de la santé, espère lancer son application gratuite « d’ici à la fin du mois » sur Android et iPhone.
La technologie est simple : l’utilisateur répond à une série de questions sur la base d’un formulaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), indique sa température, s’il tousse ou éternue, ou encore s’il a séjourné dans un pays touché par le Covid-19. L’appli, en français, dioula et fulfulde, permet aussi de calculer sa fréquence respiratoire grâce au micro du téléphone. A la fin du test, le résultat s’affiche : « probable » ou « peu probable ». Pour les cas dits « suspects », les personnes sont contactées par la cellule de veille mise en place par les autorités burkinabées, qui pourra alors envoyer une équipe d’urgence si besoin, grâce à un système de géolocalisation.
Rumeurs et superstitions
Un chatbot (robot conversationnel), alimenté par une équipe de médecins, répond aux questions des utilisateurs et donne des conseils pour éviter la contamination. Rumeurs, superstitions, messages anxiogènes… Les fausses informations sur le coronavirus pullulent sur les réseaux sociaux. « Le manque de sensibilisation fait que certains cèdent à la panique. Et il y a beaucoup de Burkinabés qui sont persuadés que la chaleur tue le virus ou que ça reste une “maladie des Blancs” », fustige Adama Sy Traoré.
Pourtant, les cas se multiplient rapidement dans ce pays pauvre du Sahel. L’inquiétude monte au sein de la population et des services de santé. Structures sanitaires vétustes et déjà saturées, manque de matériel adapté ou de lits en réanimation… Les syndicats de médecins et des agents de santé tirent la sonnette d’alarme. A ce jour, seul le laboratoire de référence de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, à 350 km à l’ouest de la capitale, est capable de faire les analyses des tests de dépistage, dont nous n’avons pas pu obtenir le nombre.
Mercredi 18 mars, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a appelé le continent africain à « se réveiller » et à « se préparer au pire » face à la propagation de la pandémie. « Quand on voit que même l’Occident n’arrive pas à contenir la maladie, si ça continue de se propager ici, ça fera des ravages, on doit tous se mobiliser et vite », martèle Adama Sy Traoré, qui aimerait également doter les écoles, les centres de santé et les aéroports de tablettes DiagnoseMe.
Source:https://www.lemonde.fr/