Coronavirus, l’Afrique, une « bombe à retardement »
Pour un continent qui compte près de 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique est relativement épargnée par la pandémie de COVID-19, du moins jusqu’à maintenant (4000 cas, notamment en Afrique du Sud et en Algérie et une centaine de décès). Le pire est, hélas, à venir. Des experts cités par la revue Science le 15 mars dernier qualifient la pandémie qui guette le continent africain de bombe à retardement.
Mercredi, la COVID-19 a atteint deux pays en guerre : la Libye et le Mali. Certains pays ont entamé une opération confinement, comme l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Rwanda.
D’autres ont déclaré l’état d’urgence et limitent le déplacement des personnes, dont le Sénégal et la République démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays, un premier cas a été détecté vendredi en dehors de Kinshasa, malgré le confinement total de la capitale.
L’Afrique du Sud compte à elle seule pour plus du tiers des cas sur le continent. On soupçonne toutefois que ces chiffres s’expliquent du fait que le pays le plus développé d’Afrique est le mieux équipé pour tester les citoyens.
Au Nigeria, le pays le plus peuplé du continent avec 200 millions d’habitants, le gouvernement a soutenu jeudi que le pays pourrait rapidement faire face à une explosion des cas de coronavirus, si les personnes ayant été exposées n’étaient pas détectées rapidement.
Dès février pourtant, quand le premier cas est apparu en Égypte, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), prévenait l’Afrique qu’elle devait se préparer au pire.
Systèmes de santé précaires
Au-delà des chiffres, ce qu’on craint, c’est d’abord la très grande fragilité des systèmes de santé de la plupart des pays africains.
Jean-Jacques Simon a parcouru l’Afrique de long en large depuis des années. Aujourd’hui directeur des communications de l’UNICEF en République démocratique du Congo, il exprime des craintes pour ce grand pays face à l’arrivée du nouveau coronavirus.
Le système de santé n’est pas préparé à recevoir une telle épidémie, dit-il. Il y a un système en théorie, mais en réalité il manque beaucoup de personnel et de coordination. Ce n’est pas pour rien si, l’année dernière, il y a eu plus de 6000 morts liés à la rougeole dans le pays; la vaste majorité d’entre eux étaient des enfants de moins de cinq ans.
L’arrivée de la COVID-19 sur le continent africain fait craindre une saturation des centres de santé, qui atteignent déjà leur plein rendement. À titre de comparaison, on trouve 13,1 lits par 1000 habitants dans les hôpitaux du Japon, 2,5 lits au Canada et 0,8 lit en RDC.
C’est le même constat à N’Djamena, au Tchad, où nous avons joint Hindou Oumarou, une intervenante sociale qui milite pour le droit des Peuls, une communauté autochtone du Sahel.
Même en temps normal dans son pays, les centres de santé manquent d’équipement : Il n’y a pas de gel dans les hôpitaux, le nombre de gants est limité, imaginez avec la maladie! Les médecins sont obligés de s’habiller de manière spéciale pour ne pas la contracter; comment voulez-vous qu’ils puissent se vêtir comme il faut!, déplore Mme Oumarou.
Jusqu’en février, l’Afrique ne disposait que de deux laboratoires capables de diagnostiquer la COVID-19, l’un au Sénégal, l’autre en Afrique du Sud. Mais la situation a évolué, il y en a maintenant une quarantaine sur le continent.
Les premiers cargos de tests de dépistage et de masques sont arrivés sur le continent, gracieuseté du milliardaire chinois Jack Ma. La ligne aérienne Ethiopian Airlines livrera dans chaque pays 20 000 trousses de dépistage, 100 000 masques ainsi que des combinaisons de protection à usage médical.
Difficile distanciation physique
Un des défis des autorités sera d’inciter les citoyens à adopter des pratiques de distanciation physique. Les villes sont denses, les appartements souvent petits, les transports en commun bondés.
C’est ce que constate Gilles Yabi, le directeur de Wathi, un groupe de réflexion en politiques publiques à Dakar, au Sénégal, où nous l’avons joint.
Dans la pratique quotidienne, on a un peu tout l’opposé de la distanciation sociale et de toutes les mesures qui sont aujourd’hui recommandées. Donc, on sait très bien que ça va être très difficile et que ce ne sera pas un respect intégral de ces mesures.
Dans plusieurs villes très peuplées, de nombreux citoyens n’ont pas d’autres choix que de se rendre au marché tous les jours, au gré des petits revenus qu’ils auront faits dans la journée. Très souvent, les gens se voient obligés de se serrer les uns contre les autres dans les petites camionnettes qui servent de minibus pour se rendre au travail.
Les regroupements religieux, les regroupements sportifs, les habitudes de vie, le marché, ce sont tous des endroits qui sont à risque de transmission très élevé, dit Jean Lebel, le président du Centre de recherches pour le développement international (CRDI).
Ce grand connaisseur de l’Afrique craint que les mesures de distanciation physique ne soient très difficiles à faire appliquer sur ce continent.
Souvent [la proximité] est fondamentale pour maintenir le niveau de vie, pour avoir accès à la nourriture et aux services; c’est un volet qui inquiète beaucoup le monde de la recherche actuellement, dit M. Lebel.
Les lieux de culte posent un problème particulier. Les gens craignent qu’on remette en question leur foi en Dieu et qu’on pense qu’ils n’ont foi qu’en ce petit virus. Donc, ils continuent de fréquenter ces lieux, constate Hindou Oumarou au Tchad.
Transmettre l’information
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les campagnes de prévention et de sensibilisation font partie des outils essentiels pour contenir la crise.
Comme partout sur la planète, les autorités doivent pouvoir informer la population à propos des meilleures pratiques à adopter et des règles qui sont imposées, qui changent souvent de jour en jour.
À ce titre, le continent africain pose un défi. Ce qui m’inquiète, ce sont les régions rurales où l’information pénètre beaucoup moins, où il n’y a pas de radio ou de signal cellulaire, dit Hindou Oumarou.
Pour illustrer ce problème, Jean-Jacques Simon cite la campagne d’information sur la rougeole en RDC. En 2019, 6000 personnes sont mortes de cette maladie contagieuse, surtout des enfants de moins de cinq ans.
Pourquoi a-t-on eu autant de morts liés à la rougeole? Parce qu’on n’arrivait pas à atteindre les gens dans les campagnes de vaccination, dit M. Simon.
La couverture a atteint à peine 50 % dans le pays, alors qu’il aurait fallu atteindre 90 % pour éviter une propagation aussi vaste. Ça montre qu’il y a un problème dans le système de santé. L’information, c’est le nerf de la guerre et ce n’est pas facile, affirme Jean-Jacques Simon.
De la crise sanitaire à la crise sociale
Si les autorités ont mis l’économie en veilleuse dans une bonne partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe afin d’endiguer la contagion, l’opération risque d’être beaucoup plus compliquée sur le continent africain.
On ne peut pas envisager les formes de confinement intégral qu’on applique ailleurs, car dans les pays africains, un très grand nombre de personnes dépendent de l’économie informelle et ont besoin de sortir au quotidien pour pouvoir gagner de quoi vivre, dit Gilles Yabi du groupe de réflexion Wathi à Dakar.
Faute d’un filet de sécurité sociale, on a du mal à imaginer qu’on pourra empêcher les citoyens de se rendre au travail. Trop de gens dépendent de leurs maigres revenus au jour le jour pour se nourrir et se payer un toit.
Quand il y a des restrictions sur le mouvement des gens, sur l’ouverture des magasins et des commerces, ce sont les plus pauvres qui payent parce qu’ils n’ont rien à manger, dit Jean-Jacques Simon. Ça peut créer des soulèvements populaires, des tensions sociales assez phénoménales, fait-il remarquer.
Ainsi, en Afrique, il y a des risques que la crise sanitaire que provoque ce petit virus de quelques microns de diamètre se transforme en véritable révolte sociale dans certains pays.
Source: https://mondafrique.com/