VIH/SIDA en Tunisie: Où en est-on?

Le VIH/SIDA en Tunisie, c’est tout un programme de prévention, de lutte et de traitement. Un programme qui se voulait ambitieux et complet avec notamment une prise en charge thérapeutique générale, gratuite avec  les traitements les plus pointus. Il a débuté en 1987, il a donné de bons résultats, mais aujourd’hui on se demande s’il n’y a pas un grain de sable dans son mécanisme, au vu des derniers chiffres des nouvelles  infections qui  sont en augmentation. Nous avons demandé au Docteur Rafla Tej Dellagi, Directrice Générale des soins de santé de base au niveau du Ministère de la Santé de nous expliquer les raisons de ce piétinement.

 

Avec 120 cas de nouvelles infections au VIH  en 2015, alors que les autres années ce chiffre se situait entre 70 et 100 cas, peut-on dire que le Programme national de lutte contre le VIH grince quelque part ?

Dr Dellagi

Le programme  ne grince pas, puisqu’il est revu avec un réajustement pratiquement tous les 2 ans.  A ces débuts il avait deux objectifs principaux : la Prévention de l’infection à VIH/sida en agissant sur les voies de transmission sexuelle, sanguine et de la mère à l’enfant et, deuxième objectif,  la Réduction de l’impact psychologique et social sur les personnes vivant avec le VIH/sida et leurs familles. Ce programme a fait ses preuves, il nous a permis  d’avoir la sécurité transfusionnelle, depuis 1987, et d’avoir également un cadre stratégique de lutte contre le VIH/sida et les  infections sexuellement transmissibles. C’est grâce à ce plan que la gratuité de la prise en charge médicale et psychosociale des PVVIH(personnes vivant avec le VIH) a été possible. Un autre acquis de taille de ce programme c’est la loi qui a permis la création d 25 centres de conseil et de dépistage anonyme et gratuit, CCDAG, permettant d’améliorer la prévention notamment auprès des populations clés.

En Tunisie, l’épidémie à VIH/sida est peu active et stable dans le temps, cependant, la vigilance est requise et les efforts de prévention doivent être axés sur les populations les plus exposées au risque.  Et c’est ce qui a été prévu dans le plan stratégique national 2015-2018. Si on est passé à 120 cas au lieu de 100, c’est certainement dû  à un meilleur dépistage

 

Quelles sont les populations les plus vulnérables et avez-vous une idée juste de la situation épidémiologique du VIH/SIDA en Tunisie ?

Dr Dellagi

La prévalence dans la population générale reste faible:   0,013%, mais  chez les populations à risque, notamment chez celle des «  Hommes ayant des relations sexuelle avec des Hommes », ce chiffre grimpe jusqu’à 9 % ! suivi des usages de drogues injectables 3,9% puis les travailleuses de sexe 0,92%. C’est ce que nous ont montré les différentes enquêtes.    Les travailleuses de sexe et les usagers de drogues injectables,  ne sont pas mieux lotis quant au risque d’infection par le VIH.  L’épidémie de VIH/SIDA est donc concentrée dans ces populations, le risque c’est qu’elle peut s’ouvrir vers la population générale si on ne fait pas preuve de vigilance. Notre plan stratégique de lutte contre le SIDA, intègre des partenaires de la société civile, qui sont des associations qui font un excellent travail en allant vers ces populations  spéciales car difficile d’accès, vu que souvent elles pensent être à la limite de la légalité, donc elles se cachent.  Au fil du temps on a  fini par bien connaitre ces populations, particulièrement celles qui sont  à Tunis et dans les grandes villes. Mais on sait qu’il y  en a d’autres,  à l’intérieur des régions, celles là sont difficilement accessibles et c’est vers elles que nous voulons y aller, c’est le défi du Programme national de lutte contre le VIH/SIDA. On a remarqué qu’il y a des obstacles  qui limitent ces groupes  aux services de prévention et de soins du VIH et des Infections Sexuellement Transmissibles et une enquête sur  la fonctionnalité des CCDAG est en cours.. En matière  de comportements à risque malgré tous les efforts qui ont été faits depuis des années, il reste  beaucoup de failles. Seule  50% de la population à risque utilise les préservatifs.  Ces populations vulnérables n’ont pas vu leurs comportements changer en dehors   du fait que  les connaissances sur le VIH se sont améliorées. Donc je le répète, maintenant le défi est d’aller vers les régions, là où on n’est pas encore allé et d’analyser encore les comportements à risque des groupes les plus vulnérables.  D’ailleurs une cartographie des hotspots, ç’est à dire des lieux ou on a le plus de chance de retrouver ces populations à risque a été entamé au niveau de 21 régions du pays ceci nous permettra de réajuster notre plan opérationnel spécifique aux régions.

 

La Tunisie a-t-elle les moyens de mener à bien ce programme de lutte contre le VIH/SIDA est d’atteindre son objectif de réduire la moitié des nouvelles infections d’ici 2018 ?

Dr Dellagi

Dans le programme national, chacun des partenaires doit trouver et garder son rôle, mais  le leadership doit rester au ministère de la santé. Le  SIDA est un risque et  c’est le rôle du  ministère de la santé de tout chapeauter. Les ressources sont limitées, même si nous bénéficions d’aides de l’extérieur. Il ne faut pas oublier qu’en Tunisie le traitement du VIH/SIDA et gratuit pour les tunisiens seulement selon la réglementation.  Par ailleurs la prise en charge  des non Tunisiens est assurée au cas par cas et là ça va poser des problèmes, car pour 100 nouveaux cas de Tunisiens VIH positifs, il y a 150 étrangers VIH positifs et il faudra avancer une solution pour le traitement des non tunisiens qui viennent se faire soigner chez nous, certes le Fonds Mondial peut apporter un appui  qui ne  durera que le temps de la subvention, c’est pourquoi il faut envisager une alternative plus pérenne.

Nous avons un autre problème, il s’agit des centres de  conseil et de dépistage gratuit et anonymes : ils ne fonctionnent pas vraiment comme on le souhaiterait.  En 2015, il n’y a  eu qu’environ 8000 dépistages. C’est très peu, nous devons trouver les causes, identifier les obstacles, pourquoi les gens n’y vont pas ?

Un autre aspect dans la prévention du VIH/SIDA me parait important  et j’aimerais en parler : il faut faire un travail de fond  au niveau de l’éducation de masse et profiter des  structures scolaires pour bannir les comportements à risque avec des enseignants qui doivent jouer leur rôle d’éducateurs  et là le rôle de la médecine scolaire est inéluctable.

Pour finir, aller vous commercialiser les auto-tests ?

Dr Dellagi

Justement c’est le dépistage communautaire et c’est en discussion mais il faut au préalable évaluer les avantages et inconvénients de cette pratique  notamment la réaction probable du citoyen face aux résultats de ces autotests et sa capacité d’autogestion

 

Propos recueillis par Samira Rekik

 

                 

 Résumé de la situation épidémiologique (31 octobre 2015)

 

Depuis la notification des premiers cas d’infections par le VIH/sida jusqu’au 31 octobre 2015, un  total de 2159 cas ont été enregistrés parmi lesquels 612sontdécédés. Les 1547 cas vivants correspondent à une prévalence (faible) de14,4/100 000habitants, qui demeure relativement stable à ce niveau classant la Tunisie parmi les pays à faible prévalence pour  le VIH.

 

Quant à la différence de vulnérabilité entre hommes et femmes, elle est en décroissance progressive avec un sexe ratio qui est passé de 3 homme pour 1femmesen 1986 à 1.9 hommepour 1 femme en 2015.

 

Selon le Spectrum (estimation ONUSIDA), jusqu’à fin 2014, le nombre des PVVIH serait 2652. Le nombre des nouvelles infections en 2014 serait : <450 (42 % des PVVIH ne connaissent pas leur statut).

 

         Pour 2015 :

 

En 2015, jusqu’au 31 octobre 2015, 122 cas Tunisiens diagnostiqués dont 80 hommes et 42 femmes. 148 cas étrangers dont 104 Africains.

 

Nombre de décès : 15.

41% des cas enregistrés en 2015 ont un âge entre 25 et 39 ans avec prédominance de la tranche d’âge (30-34 ans) qui représente 20% du total.

 

Les fréquences des voies de transmission du VIH sont restées relativement stables depuis plusieurs années. Le principal mode de transmission demeure hétérosexuel (45.34%) suivi de l’usage de drogues injectables (21.44%), la transmission de la mère à l’enfant(TME) à 4.58%,les relations sexuelles entre hommes(MSM) à 5.32% et le mode de transmission reste inconnu pour 18.2%.

 

Le nombre des personnes vivant avec le VIH (PVVIH)sous trithérapie est de 722.Ces cas sont pris en charge dans quatre services (Tunis, Sousse, Monastir et Sfax)

 

25 Centres de Dépistage Anonyme et Gratuit (CCDAG) dans 19 gouvernorats (2 ONG + 09 ONFP + 09 CSB + 02 DMSU + 1 centre de médecine Préventive+ les Directions régionales de Bizerte et du Kef ) ont réalisé 8365 tests en 2015 dont 48 tests se sont révélés positifs

 

Dans le cadre de la nouvelle stratégie PTME, la proposition systématique du test VIH aux femmes enceintes a été mise en place dans 7 régions pilotes en 2015 ( Ariana, Ben Arous, Mannouba, Monastir, Sfax, Sousse,  Tunis). 21 729femmes enceintes ont été dépistées dont 2 positives.

 

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