Kinésithérapeute en Tunisie : une profession menacée de délitement

Comme pour toutes les branches connexes de la médecine, l’enseignement de la physiothérapie (kinésithérapie) en Tunisie,  est jalousement préservé et  assuré par la faculté de médecine de Tunis.  Elle  a réussi à former  des générations de kinésithérapeutes, aussi compétents que sérieux, qui  y sont pour beaucoup dans le niveau atteint par la médecine tunisienne, car cette discipline est partie intégrante du traitement de beaucoup de pathologies. Depuis 3 ou 4 ans, un vent de désinvolture souffle sur la profession et elle est menacée de délitement.

Tout à commencé par la fermeture de la section physiothérapie de l’école supérieure de la santé de Tunis. Les raisons évoquées  seraient le nombre important de physiothérapeutes formés pour une profession saturée. Le secteur public ne pouvant plus recruter. Mais à côté de cela, on a permis à l’enseignement privé de  continuer dans cette branche, sans se soucier des possibilités de débouchés une fois la formation terminée. Résultat on se retrouve aujourd’hui avec  5 fois plus de cabinets qu’il n’y en avait en 2010, et la plupart ouvre pour fermer tout de suite après,  ou tourne à vide.

Un enseignement  qui échappe aux ministères de tutelle

Le niveau de ces nouvelles promotions  serait tellement bas qu’elles ne peuvent  assumer  l’exploitation d’un cabinet, nous disent les représentants de la profession. Pire, l’incompétence dans cette section peut  être à l’origine de grave dégâts, comparables à une erreur de prescription de médicaments.

Quand on a laissé libre champ au secteur  privé,  on a  eu droit à toutes les dérives possibles  et imaginables, nous dit-on du côté de la chambre syndicale des physiothérapeutes tunisiens.  Trois universités privées à Tunis, trois à Sfax, une à Sousse et une autre à Monastir, se partagent  un marché juteux avec des frais de scolarité de 7000D par étudiant pour 3 ans de formation.  On comprend alors, pourquoi certaines  facultés inscrivent jusqu’à 200 étudiants en 1ère année, abolissant pour ce faire tout critère de recrutement ou d’inscription.  Quant à la formation proprement dite, elle serait  d’emblée de seconde zone, puisqu’aucun enseignant  n’aurait  vraiment été formé dans ce sens. Il s’agirait en général de médecins recrutés pour donner des cours. Hors, il ne suffit pas, et il ne s’agit pas d’avoir un doctorat en médecine pour être un bon  enseignant. Il faut avoir été formé pour l’enseignement, il faut avoir fait l’école des cadres. Si l’enseignement de la physiothérapie échappe aux  deux ministères de tutelle, l’Enseignement Supérieur et le Ministère de la Santé,  c’est toute la branche qui est menacée d’altération.

Un numérus clausus et un ordre pour sauver la profession

Aujourd’hui et avant qu’il ne soit trop tard, quelles dispositions faut-il prendre pour sauver la profession ? Mr Fayçal BenAbda, Président de la Chambre Syndicale Nationale des Physiothérapeutes Tunisiens s’exprime  à ce sujet :

Il y a beaucoup de remarques à faire sur l’état actuel de la physiothérapie en Tunisie. En tant que chambre syndicale on se bat depuis une année avec les responsables au niveau du ministère de la santé, de l’enseignement supérieure et de la CNAM pour améliorer les choses. Si on commençait par nous accorder le droit d’avoir un Ordre National  des Physiothérapeutes Tunisiens, notre voix en tant que corporation sera mieux entendue et  nous arriverons à  améliorer la situation de tous ces jeunes diplômés de physiothérapie qui sont livrés à eux même sans une institution solide vers laquelle se tourner. Mais ça c’est un problème complexe, car des personnes extérieures à notre profession s’y opposent. Pour le moment nous n’avons qu’une chambre syndicale qui regroupe les professionnels.

La chambre syndicale n’est pas contre le privé mais on veut une bonne formation de nos jeunes Physiothérapeutes, aussi bien dans le privé que dans le public. Il faut commencer par faire une mise à niveau  des enseignants qui doivent assurer un enseignement de qualité. Pour atteindre ces deux objectifs, une bonne formation des étudiants et une mise à niveau des enseignants,  il est impératif que les facultés privées qui assurent la formation des futurs physiothérapeutes, soient elles même soumises à une règlementation stricte qui exigerait d’elles un suivi strict des programmes inhérents à cette formation.  Nous avons demandé au Ministère de la Santé   de mandater des inspecteurs physiothérapeutes compétents  pour le contrôle des cabinets en ville et dans tous les gouvernorats pour la bonne marche de ce secteur et l’application du cahier de charge actuel. On attend toujours. Au niveau du ministère, les physiothérapeutes ne sont pas représentés. Nous avons demandé à l’être et on attend la réponse.

On a  besoin d’un numérus clausus qui protègerait l’avenir professionnel de tous ces futurs physiothérapeutes.  Aujourd’hui le nombre d’étudiants dans cette discipline est très élevé et je doute fort que les ministères  de la santé et de l’enseignement supérieur aient une idée sur ce dernier.

On a vu le nombre de cabinet  de Physiothérapeutes passer de  60 à 1400 cabinets conventionnés avec la CNAM.  Pour ouvrir un cabinet dans le privé, il y a un cahier de charge à respecter,  les cabinets actuels  ne sont pas tous conformes aux normes et pourtant ils ont leur autorisation de travailler. Nous avons également le problème des kinésithérapeutes qui travaillaient dans les hôtels et qui sont actuellement en chômage depuis la baisse du tourisme en Tunisie. Il faut trouver des solutions, nous les trouverons plus aisément le jour où nous aurons  un Ordre National des Physiothérapeutes Tunisiens. C’est notre combat pour sauver la profession, pour garder un niveau professionnel  honorable digne de la physiothérapie et de toute la médecine  tunisienne.

 

Samira Rekik

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