Affaire SAIPH : Qui veut la peau de l’industrie pharmaceutique tunisienne ?

 

L’affaire est simple mais les conséquences très graves : on a juré de détruire l’industrie du médicament en Tunisie, comme on a juré de détruire le système de santé, le système scolaire, le tourisme etc. Rien ne doit rester debout de tout ce qu’a construit ce petit pays en 60 ans. Ce qui arrive aux laboratoires SAIPH aujourd’hui n’est que le commencement d’un processus qui va mettre à genoux le fleuron de l’industrie nationale, l’industrie pharmaceutique tunisienne. Et tout ceci avec la bénédiction, la naïveté, ou l’inconscience du ministère de tutelle, plus précisément de la DPM, la direction de la pharmacie et du médicament.
Pour faire simple, disons que l’industrie du médicament en Tunisie marche très bien. Elle rapporte au pays chaque année près de 500 millions de dinars, exporte pour plus de 40 millions rien que vers les pays africains et emploie plus de 13 000 personnes, dont 50% sont des diplômés du supérieur. Elle est tellement florissante qu’elle exporte en Afrique, dans le monde Arabe et même en Europe.

L’AMM: une protection de l’industrie pharmaceutique

La majorité des produits fabriqués en Tunisie, le sont sous contrats d’exploitation de licence conclus avec des laboratoires étrangers qui perçoivent, en contrepartie, des royalties. Mais cette autorisation d’exploitation ne suffit pas. Il faut une AMM, autorisation de mise sur le marché du médicament à fabriquer octroyée par le ministère de la Santé, plus précisément la DPM, selon des critères très stricts. Pour garantir la pérennité et la viabilité de l’industrie pharmaceutique tunisienne, la règlementation a prévu une protection en délivrant aux industriels tunisiens, des AMM pour une période de 5 ans, renouvelables par périodes quinquennales, afin que le laboratoire d’origine du médicament fabriqué sous licence, ne puisse pas quand bon lui semble retirer sa licence. Sinon l’industriel tunisien n’aura plus qu’à fermer et mettre à la porte tous les employés et perdre tous les investissements. Toute cette règlementation figure dans un document qui s’appelle le guide d’enregistrement des médicaments en Tunisie. En résumé, quand un laboratoire pharmaceutique étranger a signé un contrat d’exploitation de licence de fabrication d’un médicament, il ne peut pas résilier ce contrat quand bon lui semble, parce qu’il a trouvé meilleur preneur. Il lui faut l’accord du détenteur de l’AMM, parce qu’il est le propriétaire de l’AMM pendant au moins 5 ans, et la DPM qui était très regardante sur tous les détails et sur l’éthique, veillait à l’application stricte de la règlementation en vigueur.

De fortes suspicions pèsent sur la DPM

Çà, c’était avant, comme dit la fameuse pub. Aujourd’hui la DPM, a changé le guide de l’enregistrement du médicament en Tunisie, (pourquoi ?) en touchant à l’essentiel, soit à ce qui garantit la viabilité de l’industrie pharmaceutique tunisienne. Le nouveau guide élaboré par la DPM en février 2016 et mis en vigueur en Mai 2016, semble être fait sur mesure pour le bailleur de licence puisque le nouveau guide évince l’actuel détenteur de l’AMM lors du transfert d’AMM. En effet parmi les documents exigés pour le transfert d’AMM, le point 3, « accord de l’actuel titulaire de l’AMM » a, simplement, disparu et remplacé par « l’accord du bailleur de licence ». Donc le bailleur de licence, avec la bénédiction de la DPM peut retirer quand bon lui semble les autorisations de fabrication de médicaments sous licence. Le laboratoire tunisien n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte. Dans aucun pays au monde çà ne se passe ainsi. Tous exigent l’accord du titulaire de l’AMM, aux USA, en France, au Maroc, au Cameroun etc. Quelle mouche a piqué la DPM pour agir ainsi, elle sur qui, il y a quelques mois a pesé de lourdes suspicions de corruption (rien n’a été prouvé, ce ne sont que des rumeurs) lorsqu’elle a octroyé 22 AMM en une année pour le laboratoire Taha pharmacie ? Selon les mauvaises langues, et les colporteurs de fausses rumeurs, les AMM se vendraient à des prix très forts. La DPM, ou plutôt le système de santé en Tunisie n’a pas besoin d’une nouvelle affaire, il en a déjà trop. Dans l’affaire “SAIPH”, ce sont les laboratoires français “Servier” qui sont les heureux bénéficiaires de ce nouveau guide d’enregistrement des médicaments en Tunisie. Une éclaircie dans le ciel très sombre de ce laboratoire qui a mauvaise presse ces dernières années avec l’affaire du médiator en France et qui aurait été suspecté par la presse française d’être un laboratoire d’influence aux méthodes douteuses.
Si “Servier” y est pour quelque chose dans ce changement de guide, c’est qu’on a vraiment ouvert la porte à tous les dépassements afin que les multinationales contrôlent le marché pharmaceutique tunisien, et au démantèlement rapide de l’industrie pharmaceutique en Tunisie. Dans les réponses de “Servier” quant à l’affaire avec SAIPH, il y a quelque chose de dérangeant : pourquoi “Servier” parle au nom de la DPM ? « La DPM a traité la demande déposée par SAIPH concernant le «Diamicron 60» sans lui octroyer la priorité car SAIPH n’a pas demandé le traitement en priorité de son dossier au moment du dépôt » lit-on dans leur communiqué. Ou encore : « les médicaments fabriqués par SAIPH ont été en rupture à de nombreuses reprises et ceci pendant plus de 3 ans, affectant ainsi le bon suivi du traitement des patients ». On a envie de lui dire : de quoi je me mêle ? On sait pour les ruptures, on était en pleine Révolution et c’est pour ça que SAIPH a changé de direction et a injecté de l’argent et ça va très bien en 2015-2016 et puis les seules instances habilitées à l’attester et à en parler sont la DPM et la Pharmacie centrale de l’Etat tunisien.

Pourquoi SAIPH est-il objet de convoitise?

SAIPH n’est que le premier sur la liste qui compte plus d’une vingtaine de laboratoires pharmaceutiques, à détruire. Aujourd’hui on retire 4 AMM à SAIPH, demain ce sera à quelqu’un d’autre et encore à d’autres. On retire à l’un pour donner à l’autre, comme ça on est sûr qu’ils vont s’entretuer et finir par se détruire. Qu’en pense la corporation, le CNIP, le conseil de l’ordre des pharmaciens, on attend leur réponse. Il faut que ces instances réagissent, elles sont concernées et il faudrait qu’elles réagissent pour sauver le secteur.
Il y a deux ans, SAIPH qui possède l’une des meilleures installations industrielles implantées sur 20 000m² risquait la faillite. Quelques vautours de l’industrie pharmaceutique nationale et internationale se voyaient bien récupérer l’entreprise pour 4 sous. Mais grâce à un changement de management et une injection de 24 millions de dinars, SAIPH récupère en à peine quelques mois sa place de fleuron de l’industrie pharmaceutique en Tunisie, dans le monde arabe et en Afrique, sans avoir à licencier un seul employé, mais plutôt en recrutant, alors que le pays passait par une phase économique très délicate. Aujourd’hui, SAIPH, très à l’aise, a des visées sur l’Afrique subsaharienne, l’Afrique francophone. Il est question d’ouvrir des usines au Cameroun, en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays. Que ces pays fabriquent, grâce à la Tunisie et à SAIPH, leurs médicaments sur place, ce n’est pas du goût de certaines multinationales. Que SAIPH, industrie tunisienne, réussisse alors qu’on attendait le moment pour l’engloutir et la détruire à jamais, ça ne plait pas à d’autres. Peut être que les uns et les autres se sont-ils concertés pour hâter la destruction de ce modèle tunisien. On est en droit de l’imaginer. C’est peut être ainsi que “Servier” a eu l’énorme chance de voir le guide de l’enregistrement médicament, changer.
Les micmacs, les magouilles, les conflits d’intérêts, dans l’industrie pharmaceutique internationale sont monnaie courante. Certaines iraient jusqu’à vous inventer des maladies fictives rien que pour fabriquer et vendre des vaccins.
Il y a une spécificité que n’ignore pas la DPM et qui, à elle seule, devrait suffire à faire pencher la balance du côté de la protection de ce genre d’entreprise : SAIPH, société arabe des industries pharmaceutique a pour principal actionnaire ACDIMA : Arab Compagny for Drug Industries & Medical Appliance). ACDIMA c’est une création de la ligue arabe, une ligue nationaliste et laïque qui a mis sur pied cette industrie pour permettre une indépendance politique des pays arabes vis-à-vis de ceux qui les fournissent en médicaments. C’est tout un symbole et un message pour ses détracteurs comme pour ses investisseurs.
Le comble, est que l’Etat tunisien détienne plus de 20 millions de dinars dans le capital de SAIPH. Ce qui rend l’affaire encore plus grave.

Pour terminer

Peut-on espérer un revirement de situation où la DPM décide de ré-ouvrir ce dossier d’enregistrement des médicaments qui est une honte pour le pays, seul pays à ne pas protéger son industrie, peut-on espérer que la DPM unifie ses industriels et ne fasse pas de favoritisme en retirant à l’un pour donner à l’autre ? Nous sommes en droit d’attendre des réponses positives afin de protéger un système qui a toujours bien fonctionné et surtout de protéger l’économie nationale.

Par Samira Rekik

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