La néphrologie algérienne à la croisée des chemins

La Journée mondiale du rein est célébrée depuis 2006 le deuxième jeudi du mois de mars de chaque année. Il s’agit d’une initiative commune de l’International Federation of Kidney Foundations (IFKF) – Fédération internationale des fondations du rein à laquelle appartient la Fondation du rein – Algérie et de l’International Society of Nephrology (ISN).

L’objectif des actions entreprises par les 61 fondations du rein, réparties dans 41 pays dans le monde, est de sensibiliser les populations et les gouvernements aux dangers de la maladie rénale, de ses implications sur la santé des personnes et sur les budgets des pouvoirs publics. Ces fondations ont aussi un rôle d’organiser des réunions scientifiques, des actions de levée de fonds pour la recherche scientifique contre les maladies qui contribuent à l’apparition de l’insuffisance rénale chronique.

Pour mémoire, 850 millions de personnes sont touchées par une insuffisance rénale dans le monde dont plusieurs centaines de milliers sont en hémodialyse ou dialyse péritonéale. Certaines d’entre elles bénéficient de la greffe rénale.

La Chine seule compte 700 000 personnes en hémodialyse. En Algérie, les chiffres seraient de 25 000 personnes, dont environ la moitié sont traitées dans le secteur hospitalier et l’autre dans le secteur extra-étatique «dit secteur privé», mais qui en fait est un secteur citoyen de service public.

Il est tout à fait vrai que, dans certains cas, l’insuffisance rénale chronique peut être considérée pour les personnes âgées comme un phonème naturel de vieillissement. Il faudrait savoir qu’à partir de 50 ans, chaque individu pourrait perdre annuellement 1% environ de sa fonction rénale habituelle. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir un homme ou une femme de 80 ans ou plus en insuffisance rénale «naturelle», c’est-à-dire avec une capacité d’épuration rénale amoindrie de 30 à 40% par rapport à une personne jeune.

Malheureusement, il y a des facteurs aggravants tels que le diabète sucré, l’hypertension artérielle ou d’autres maladies qui viennent se surajouter pour rendre cette capacité d’épuration encore moins performante.

Cet état peut demander le recours à une aide extérieure à l’organisme qui est le rein artificiel ou l’épuration extra-rénale par hémodialyse ou dialyse péritonéale. Le thème de la Journée mondiale du rein dans le monde pour l’année 2020 est de prodiguer des soins aux personnes atteintes de maladie rénale «pour tous et partout». Cet objectif semble être atteint en Algérie où toutes les personnes peuvent être considérées comme ayant accès gratuitement aux techniques de dialyse ou de greffe (pour celles qui ont un donneur vivant apparenté répondant aux critères médicaux et éthiques).

Cependant, il faudrait considérer de par le monde qu’une personne sur dix présente une insuffisance rénale à un stade ou à un autre. Il ne faudrait, bien entendu, pas s’alarmer, mais plutôt prendre les précautions nécessaires pour le savoir le plus tôt possible en consultant son médecin traitant au moins une fois par an. Célébrer la Journée mondiale du rein, c’est aussi évaluer le programme national de prise en charge de nos patients et voir si des progrès sont réalisés d’une année à l’autre dans les soins et dans le travail préventif.

La prévention et le traitement des maladies, susceptibles de provoquer une insuffisance rénale aiguë ou chronique, est un élément capital de la lutte contre ce grand fléau social qui va bientôt être la cinquième cause de mortalité dans le monde. Le rôle du médecin de famille est primordial.

Il en est de même de celui des médecins du travail, de l’éducation nationale, des collectivités constituées et de toute communauté médicale. Des règles élémentaires peuvent être inculquées aux citoyens, telles que boire un litre et demi d’eau par jour, faire des exercices physiques, éviter l’alimentation trop salée ou trop sucrée, s’abstenir de fumer et d’absorber des quantités importantes de café.

Il faudrait conseiller de ne pas faire de l’auto-médication et de consulter son médecin traitant pour les examens annuels tels que la prise de tension artérielle, la mesure de la glycémie, de la protéinurie et de la créatinémie… La consultation chez les médecins spécialistes, notamment chez le médecin néphrologue, reste la caution de garantie du diagnostic de la maladie.

Les patients hémodialysés reçoivent leur traitement trois fois par semaine en Algérie de façon à peu près normale. Beaucoup a été fait dans le domaine de l’hémodialyse depuis l’introduction de la néphrologie en Algérie dans les années 1977-1980. Malheureusement, beaucoup reste à améliorer dans plusieurs domaines de cette filière thérapeutique. Sur le plan technique, les méthodes de dialyse plus performantes comme l’hémodiafiltration n’existent pas encore en Algérie. Pourtant, cette technique est devenue une pratique banale depuis plus de deux décennies dans la totalité des pays développés et même dans certaines contrées à niveau de vie plus ou moins semblable au nôtre.

Les néphrologues algériens continuent à exercer leur métier avec du matériel de qualité moyenne et de technicité assez modeste. Ils pourront facilement acquérir les compétences pour utiliser des technologies plus modernes. Le matériel consommable est distribué par une seule firme privée qui a, à elle seule, le lourd fardeau de l’importer puis de le distribuer.

Ouvrir le champ à d’autres entreprises et permettre la diversification de l’approvisionnement en matériel médical d’hémodialyse finit non transformé et sans taux d’intégration locale est un gage de succès dans la politique de l’amélioration de la qualité et du coût. Le monopole est un facteur de régression économique et scientifique. Il est évident que l’aide aux entreprises nationales qui apportent une plus-value dans la fabrication locale de certains matériels pouvant servir dans le pays est une nécessité. Les patients souffrent de l’insuffisance des quantités de médicaments nécessaires au traitement de l’anémie (érythropoïétine et fer injectable).

Il existe souvent des pénuries dans les hôpitaux et les montants des forfaits accordés pour ce traitement par la Sécurité sociale aux patients du secteur extra-étatique sont insuffisants et complexes.

La gestion du traitement anti-anémique est faite de façon quasi administrative par les Caisses de Sécurité sociale et les néphrologues n’ont pas l’initiative de la prescription. Les médecins-conseil des caisses de sécurité sociale ne sont pas responsables de cette situation car les décisions de l’application de ces «forfaits absurdes» concernant le montant des séances d’hémodialyse et le traitement anti-anémique ont été prises par d’autres personnes. Il convient de revoir au plus vite cette situation dans l’intérêt des malades. Les patients du «secteur dit privé» n’ont pas accès à plusieurs médicaments non remboursés par la Sécurité sociale (certains antibiotiques, médicaments de lutte contre l’hyperparathyroidie, médicaments de lutte contre l’hyperphosphorémie…).

En cas de nécessité d’une transfusion sanguine urgente dans une clinique, les centres hospitaliers établissent des factures dont le montant pourrait dépasser le prix de la séance d’hémodialyse. La caisse de Sécurité sociale ne rembourse pas les transfusions sanguines. Il faut aussi dire que la plupart des patients paient la pose de l’accès vasculaire pour leur traitement qui consiste soit en l’achat d’un cathéter centrale, soit dans la confection d’une fistule artério-veineuse.

Des tableaux de statistiques concernant les malades sont envoyés régulièrement aux directions de la santé de wilaya pour que les autorités ministérielles puissent connaître la réalité de la situation de l’hémodialyse. Malheureusement, il n’y a aucun retour d’information sur ces données. Il convient, bien entendu, d’élaborer le Registre national des patients insuffisants rénaux et celui des structures et du matériel déployés à travers le pays pour une évaluation saine des besoins, des moyens et des projets à entreprendre.

La carte sanitaire de l’hémodialyse n’est pas faite. Sans cela, comment peut-on alors décider de l’opportunité d’implanter des centres de traitement dans les endroits démunis. En revanche, il est aisé de constater qu’il existe souvent plusieurs cliniques dans un même secteur permettant une offre de soins supérieure à la demande. Cette désorganisation est accentuée aussi par le non-respect de l’orientation des patients vers la structure la plus proche de leur domicile causant des préjudices de frais de transport supplémentaires pour les Caisses de sécurité sociale.

L’exercice de la transplantation rénale en Algérie a parfois fait des progrès mais a parfois aussi régressé. Beaucoup d’enthousiasme a été constaté chez nos collègues néphrologues et transplanteurs rénaux. Cependant, cette activité répond à des normes très strictes que seule la passion d’entreprendre ne suffit pas. La première conférence «Prospectives de la transplantation rénale en Algérie» s’est tenue le 13 avril 1985 à Alger sous l’égide de la Société algérienne de néphrologie et les ministère de tutelle, Enseignement supérieur et Santé. La première greffe rénale à partir d’un donneur vivant a été faite à Alger en 1986.

De cette époque à nos jours, des dizaines de colloques, séminaires, conférences, cours internationaux, débats médicaux et publics ont été tenus sur la greffe rénale. La problématique de la greffe rénale à partir de donneur vivant apparenté a fini par être bien comprise et la population a adhéré à ce projet humain. Malheureusement, l’accompagnement rationnel par les pouvoirs publics concernés n’a pas été à la hauteur. Il n’y a pas eu de programme national de greffe rénale établi de façon organisée et logique.

Après les difficultés que le pays a connues dans les années 1990-2000, est venue ensuite une période au cours de laquelle les apports financiers engendrés par la vente des hydrocarbures a permis l’ouverture de plusieurs unités de traitement par hémodialyse et beaucoup de matériel a été importé pour soigner les malades insuffisants rénaux.

Dans la foulée, certains collègues et certains responsables administratifs ont pensé pouvoir résoudre le problème de la greffe rénale avec la même logique financière. Ainsi, un Institut national du rein a été construit à Blida, des listes d’inscription ont été ouvertes pour les patients désirant être greffés avec un rein de cadavre, plusieurs hôpitaux ont construit ou réaménagé leurs blocs opératoires dans l’objectif de transplanter le maximum de patients. Des financements très importants ont été utilisés sans malheureusement obtenir les résultats escomptés.

Le don de rein est un problème humain que le traitement matériel ou financier ne suffit pas à lui seul de résoudre. Dans le cas du don d’une personne vivante à une autre personne vivante apparentée, la question est plus facile à faire comprendre aux familles. Les autorités civiles, religieuses, les services étatiques concernés et la population sont tous d’accord sur la solution. Malheureusement, les moyens matériels et financiers sont insuffisants et l’organisation de la construction du projet est encore immature.

Il y a une dizaine de centres de greffe rénale autorisés à réaliser cette opération dans le pays. En fait, seulement 70 à 100 greffes sont réalisées par an, ce qui fait une dizaine de greffes en moyenne par centre agréé. Cet objectif est totalement insuffisant. Dans certains pays, un seul centre peut réaliser à lui seul de 150 à plus de 350 greffes par an. Je pense qu’en Algérie, un ou deux centres de greffe rénale suffiraient pour l’instant. Les patients de tout le pays y viendraient pour se faire transplanter.

Des maisons, des familles pourraient être mises à la disposition des patients et de leurs parents pendant la réalisation des examens et des traitements. Les centres hospitaliers de la capitale et des autres villes feront le suivi des patients avant la greffe rénale et après celle-ci. Une ou deux grandes équipes de greffe rénale disposant de tous les moyens matériels et humains sont plus efficaces que plusieurs autres qui en sont démunies. La réalisation de la greffe rénale de donneur vivant dans le secteur extra-étatique ou «dit privé» ne doit pas être écartée dans les 2020 en Algérie.

A l’instar des interventions de chirurgie cardio-vasculaire qui sont effectuées en très grande partie dans le secteur privé en Algérie, la greffe rénale à partir de donneur vivant apparenté pourrait y trouver sa place. Il suffit d’établir un cahier des charges adapté et de pratiquer les contrôles réglementaires en vigueur. Cette disposition permettrait à plusieurs dizaines d’Algériens de ne plus aller tous les ans vers d’autres pays pour se faire transplanter dans un centre privé avec le rein de leur parent.
Le don d’organes à partir de personnes décédées a fait l’objet de plusieurs dizaines de débats, d’écrits, de textes réglementaires, de séminaires religieux et médicaux.

La population n’est en revanche pas convaincue du succès d’un tel projet de société. Elle a raison. Cette question n’est pas mûre et requiert des actes quotidiens de crédibilité des uns et des autres pour acquérir la confiance des citoyens. On ne peut pas forcer par des textes de loi les citoyens à accepter le prélèvement de leur rein après leur décès.

Les actes d’amitié et d’amour des citoyens au quotidien sont nécessaires pour bâtir une société qui permette cette «transaction» sincère d’un organe provenant par amour d’un être décédé à un autre citoyen pour sa survie. Le sujet de la greffe rénale à partir du donneur décédé n’appartient ni aux médecins, ni aux autorités de santé, ni aux autorités religieuses. Chacun a fait son possible pour sensibiliser la population. C’est la société qui donnera le signal de départ pour la réalisation d’une telle œuvre humaine. Les aspects financiers et matériels accompagneront le projet.

Faut-il parler de l’Agence nationale de greffe d’organes, de sa composition, des titres médicaux et universitaires de ses membres, de son rôle, de ses missions, de ses connaissances scientifiques, de ses capacités, de sa représentation auprès des autorités de tutelle, de sa connaissance de l’histoire de notre population, ses traditions et coutumes, des différents milieux qui composent notre société ? Nous espérons voir ce sujet trouver une solution.

L’enseignement moderne de la néphrologie, la formation médicale continue et la recherche scientifique sont les piliers de l’avenir de la spécialité. La résistance et l’hostilité des collègues d’autres disciplines, les difficultés rencontrées auprès des pouvoirs publics ne pouvaient que faire décourager les néphrologues et les faire repartir dans les pays où ils ont bénéficié de leur formation et obtenu leur diplôme.

Malheureusement pour eux, des personnes déterminées ont su relever le défi et tels cette herbe fine et frêle décidée à pousser et grandir pour faire fissurer puis casser ce mur de béton, ils ont pu ouvrir l’enseignement de la discipline le 02 novembre 1988. Sans formation médicale continue et sans le financement de celle-ci, il ne peut y avoir de progrès, et sans progrès, c’est la régression intellectuelle assurée. Actuellement, l’industrie pharmaceutique aide les médecins dans ce domaine. Malheureusement, la relation est compliquée et pas toujours claire.

Ce problème de financement de la formation médicale est majeur et doit relever des autorités de tutelle. La recherche scientifique devrait être la cheville ouvrière du développement de la néphrologie moderne. Pour faire de la recherche, les jeunes néphrologues doivent croire dans leur projet professionnel. Les sujets de recherche épidémiologique, clinique et même de science fondamentale sont nombreux et hautement réalisables dans ce grand pays qu’est l’Algérie.

Là, il faudrait des leaders et une foi dans son métier et dans l’avenir. Former tous les ans plusieurs dizaines de néphrologues pour les voir partir dans d’autres pays est très frustrant. Les collègues, chefs de service, les présidents de Société savante et les pouvoirs publics doivent repenser leur façon de réfléchir et d’agir pour permettre à tous ces jeunes de regagner leur confiance et de croire dans la profession qu’ils ont choisie. Ainsi, nous espérons que lors de la célébration de la prochaine Journée mondiale du rein, le jeudi 11 mars 2021, des progrès substantiels seront réalisés dans la lutte contre l’insuffisance rénale et dans le bien-être des patients qui continueront à suivre un traitement par dialyse ou greffe rénale.

Source:https://www.elwatan.com/

Login

Welcome! Login in to your account

Remember me Lost your password?

Lost Password